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Germain Louvet, danseur étoile : « Il faut oser sortir des carcans »

Arts | le vendredi 3 juillet 2020
Germain Louvet pose dans champs
Germain Louvet fait partie de ces figures charismatiques que l'on n'oublie pas - peut-être est-ce dû à son éclatante jeunesse, son port altier ou l'allure qu'il a sur scène. À 27 ans, l'étoile de l'Opéra national de Paris est la figure de proue d'une nouvelle génération de danseur·euse·s ouvert·e·s, engagé·e·s et connecté·e·s. De Paris à Saint-Pétersbourg, le danseur s'invite sur les plus grandes scènes et fait la une des magazines de mode, tout en posant pour Alessandro Michele chez Gucci et pour Jean Paul Gaultier. Depuis sa jeunesse au sein des petits rats de l'Opéra de Paris, la jeune étoile poursuit son ascension dans la prestigieuse institution parisienne sans rien perdre de ses idéaux. Entretien avec un artiste de son temps, dont l'engagement est chevillé au corps.

Printemps.com : Tu as été nommé danseur étoile de l'Opéra national de Paris, à 23 ans, à l'issue de la représentation du ballet Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev, en 2016. Comment as-tu vécu cette consécration ?

Germain Louvet : Je venais de danser un ballet de trois heures, donc c'était un moment assez étrange. Les gens s'attendent toujours à un récit particulier de cette soirée, mais c'est arrivé de manière inattendue, car on a beau l'avoir rêvé, lorsqu'on le vit réellement, on a finalement du mal à y croire. C'est aussi le public et ses réactions qui m'ont fait prendre conscience de l'intensité de cet instant, et surtout, de voir mes parents pleurer à la fin de la représentation. J'ai été nommé « étoile » jeune en comparaison à d'autres danseurs, mais cela s'est fait de manière assez naturelle et logique. J'ai d'abord fait du corps de ballet, puis j'ai eu des rôles de soliste, et j'ai pu rencontrer des chorégraphes et des danseurs qui m'ont fait évoluer humainement et artistiquement. J'ai aussi toujours eu de bonnes relations avec les trois directeurs de l'Opéra, et cela m'a aidé à avancer sereinement au sein de cette institution.

Tu as commencé la danse à l'âge de 4 ans, puis tu es entré au Conservatoire national de région de Chalon-sur-Saône, trois ans plus tard. Être danseur, c'était une vocation ?

Petit, je dansais déjà chez moi, cela m'est venu naturellement. J'ai donc demandé à mes parents de m'inscrire à des cours, comme certains camarades de classe, puis je n'ai jamais arrêté. J'aimais danser et mes professeurs m'encouragaient à continuer, mais à l'époque, je ne réfléchissais pas à en faire ma carrière. Puis on m'a proposé d'entrer à l'École de danse de l'Opéra de Paris et c'est là que tout a commencé. À 12 ans, j'ai découvert que la danse pouvait être un métier et qu'elle renfermait tout un monde de spectacle, d'illusions, de costumes et de magie... C'est à ce moment-là que j'ai construit mon rêve et forgé mon ambition d'aller jusqu'au bout.

Les danseurs de l'Opéra national de Paris représentent une troupe d'élite fondée sur l'excellence. Comment parvenez-vous à concilier cette rigueur, parfois ascétique, avec votre vie personnelle ?

Il y a toujours eu une petite voix grâce à laquelle j'ai structuré ma vie personnelle et professionnelle sans trop me poser de questions. Je n'ai jamais ressenti le besoin de repousser mes limites à l'extrême.

Cette année a été pour le moins particulière : entre les grèves des danseurs de l'Opéra de Paris pour protester contre la réforme des retraites et la pandémie, tu n'as pas pu beaucoup danser sur scène. Comment as-tu vécu cette privation ?

Le pire, je crois, c'était de ne pas savoir quand nous pourrions retrouver le rythme normal des entraînements et des représentations. J'ai eu l'impression de perdre certaines capacités physiques et surtout le souvenir réel de la scène. Pendant le confinement, nous, les danseurs, avions le sentiment d'être inutiles, car on ne pouvait pas télétravailler. On s'entraînait quotidiennement, mais ce n'était pas très agréable, seul et à distance, pendant trois mois. Heureusement, j'ai repris les cours depuis mi-juin.

« J'ai une parole, des idées et je me bats pour qu'elles restent libres. »

L'Opéra national de Paris a vécu la plus longue grève de son histoire, dont tu étais l'un des porte-parole malgré une opposition véhémente d'une partie de la direction, des médias et même du public. Pourquoi avoir mené ce combat jusqu'au bout ?

Je suis très impliqué sur les questions de société. Je me sens engagé politiquement, et tout ce qui se passe autour de moi a un impact sur mon mental et mon moral. Je ne suis pas très à l'aise avec l'attentisme, j'ai une parole, des idées et je me bats pour qu'elles restent libres. Je pense que les artistes ont une responsabilité vis-à-vis de la société. En tant qu'interprète, j'ai la chance de rencontrer beaucoup de monde et de pouvoir ouvrir le dialogue. Je trouve lâche et naïf de penser que nous sommes ici juste pour divertir, et que nous évoluons dans un monde parallèle loin de toutes les réalités politiques et sociétales. Cette vision me semble désuète. Le militantisme est aussi lié à notre génération, avec l'augmentation de l'information et des connexions entre les gens. On a pu le voir récemment avec l'affaire George Floyd qui a fait écho dans le monde entier. Je pense que cela est vraiment propre à notre temps et à l'ère d'internet. Mais il ne faut pas pour autant que ce militantisme devienne une forme de « mode » et qu'il soit récupéré comme un outil commercial, par des marques, notamment.

Tu es aussi mannequin : tu as posé pour plusieurs magazines dont Vogue, tu as défilé pour Jean Paul Gaultier et tu collabores ponctuellement avec de grandes maisons comme Gucci ou Dior. Quelles similitudes y a-t-il selon toi entre le métier de danseur et celui de modèle ?

Aucune ! Mon métier, c'est d'être danseur et même si je me prête au jeu du shooting, je ne me sens pas mannequin pour autant. Je pense en revanche que ces deux jobs pourraient se ressembler si les modèles parvenaient à exister davantage devant l'objectif en tant que personnes, et non comme simples sujets. Je trouverais plus intéressant qu'ils revendiquent leurs valeurs et leur posture dans la société.

La mode semble aller dans ce sens aujourd'hui, non ?

La mode évolue dans le sens des Kardashian, mais elle met aussi en lumière de nouvelles personnalités qui vont donner de la vie aux vêtements, comme des artistes trans ou des personnes qui incarnent autre chose qu'un physique. Je pense qu'il faut oser sortir des carcans sans toutefois tomber dans la récupération, bien sûr, là est toujours le danger.

Quelle marque de mode t'inspire le plus ?

J'aime beaucoup ce que fait Alessandro Michele pour Gucci, avec qui j'ai déjà collaboré. Il s'amuse avec les codes du genre, des époques et cela avec beaucoup d'humour. Je trouve que l'humour manque dans la mode !

Plus généralement, quel·le·s artistes affectionnes-tu particulièrement ?

Je suis très influencé par la chorégraphe et danseuse allemande Pina Bausch, qui a eu un impact déterminant sur le spectacle vivant contemporain. En France, j'aime beaucoup l'esthétique du réalisateur français Bertrand Mandico, l'œuvre de l'artiste plasticien Kader Attia, et je suis aussi très admiratif du travail des chorégraphes Mathilde Monnier et François Chaigneau, avec qui je me verrais bien collaborer.

Tu as aussi entamé une carrière de soliste et tu effectues des représentations en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et même sur la scène du Mariinsky, à Saint-Pétersbourg. C'est important pour toi d'être indépendant ?

Je suis très bien à l'Opéra et je m'entends merveilleusement avec la compagnie, mais je pense qu'il est également important pour un danseur d'élargir son horizon et de pouvoir effectuer des représentations à l'extérieur. Cela permet de s'exercer dans une autre structure qu'une maison qui est la sienne depuis que l'on est petit, et où l'on est parfois cantonné à un rôle et à une vision que l'on a de toi. Danser à Saint-Pétersbourg, à Berlin ou encore à Milan, c'est comme une bouffée d'oxygène qui permet aussi une véritable prise de conscience et de découverte de soi-même.

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