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Rencontre avec Uele Lamore, cheffe d'orchestre de 27 ans

Arts | le jeudi 20 mai 2021
Uele Lamore avec fleurs
Compositrice et cheffe d'orchestre parisienne, Uele Lamore brise les frontières musicales à travers ses collaborations avec Étienne Daho, Agar Agar, le London Contemporary Orchestra ou encore des intelligences artificielles, naviguant entre pop contemporaine et avant-gardisme. Rencontre.

Printemps.com : Comment se sont déroulés ces derniers mois pour toi ?

Uele Lamore : Ils ont été très productifs ! Mon EP Tracks est sorti en février 2020, puis j'ai réalisé un album pour le label allemand K7 qui sortira l'année prochaine. J'ai également travaillé sur la bande originale du prochain film d'Aïssa Maïga, Marcher sur l'eau. Enfin, j'ai surtout signé avec la major Sony pour créer mon propre album, que je finis d'enregistrer.

Avec Sony, tu travailles aussi pour le programme Sony CSL - Computer Search Lab -, destiné à booster la créativité des musicien·ne·s grâce à l'intelligence artificielle. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste cette collaboration ?

Je fais du travail de recherche. Le laboratoire Sony CSL développe des outils de production musicale en ayant recours à l'intelligence artificielle. Au départ, j'étais simplement bêta-testeuse, puis on a poussé la collaboration plus loin et ils m'ont proposé de créer un EP complet en utilisant ces nouveaux moyens de production. L'EP [Heqet's Shadow: Return Of Glycon, NDLR] vient juste de sortir ! C'était très stimulant de bosser avec des ingénieurs et des chercheurs. Développer des outils de prod en musique, c'est un peu le Saint Graal.

Uele Lamore à Paris

As-tu toujours fait de la musique ?

Oui, j'ai commencé à jouer des instruments très tôt et j'avais l'oreille musicale. La musique a été une constante de ma vie. Au-delà d'une passion ou d'un métier, c'est quelque chose qui fait partie de mon être.

Après ton bac, tu es partie étudier cinq ans aux États-Unis, tout d'abord le jazz à Los Angeles, puis la composition classique au célèbre Berklee College of Music de Boston. Pourquoi avoir choisi de quitter la France pour tes études ?

C'était avant tout par contrainte. Les formations que je souhaitais suivre n'existaient pas en France. Je n'ai pas fait le conservatoire, je suis autodidacte. J'avais vraiment l'impression de ne pas avoir ma place dans les écoles de musique françaises. On ne me prenait pas au sérieux et je pense qu'il y avait là une certaine part de misogynie. Comme je possède un passeport américain, mon père m'a conseillé de partir étudier aux États-Unis.

Quand tu es arrivée aux États-Unis, as-tu ressenti une différence avec le système éducatif musical français ?

Complètement ! Ma première école à Los Angeles formait des instrumentistes professionnels. Tous avaient un excellent niveau et aujourd'hui, l'une d'entre elles joue même de la guitare pour Beyoncé. Les gens y sont formés pour devenir de véritables snipers. Contrairement aux Français, les Américains considèrent vraiment la musique comme un métier que tout le monde peut faire, à condition de travailler dur. On te met aussi en contact avec différents professionnels accomplis. C'est comme ça que j'ai découvert la direction orchestrale, sinon je n'y aurais jamais pensé !

Uele Lamore à Paris

Tu es ensuite partie aux Pays-Bas pour suivre une formation avec Jules Buckley, le chef d'orchestre du Metropole Orkest, qui a collaboré avec de nombreux artistes mondialement connus, comme les Arctic Monkeys ou Massive Attack. Actuellement, tu travailles avec le London Contemporary Orchestra, considéré en quelque sorte comme le rival du Metropole Orkest...

Oui, je travaille avec le London Contemporary Orchestra depuis deux ans, c'est vraiment incroyable de travailler avec eux à mon âge. Je ne pensais pas pouvoir collaborer avec cet orchestre avant plusieurs années, mais ils sont venus me voir et m'ont proposé de devenir leur troisième chef d'orchestre. C'est une vraie fierté !

En 2017, à ton retour en France, tu as créé l'Orchestre Orage avec des ami·e·s, soit le premier orchestre de musiques actuelles français, qui accompagne de nombreux artistes de la scène indépendante, à l'instar du groupe électro-pop Agar Agar. Qu'est-ce qui vous a motivé·e·s à vous lancer dans cette aventure ?

À mon retour des Pays-Bas, je me suis rendue compte qu'il n'existait aucun équivalent au Metropole Orkest en France et que la place était encore à prendre. Ici, il y avait des artistes très talentueux qui n'avaient jamais eu l'opportunité de jouer avec un orchestre. On s'est donc lancés et on a tout de suite eu beaucoup d'opportunités. En France, notre orchestre est vu comme un ovni mais à l'étranger, c'est très commun. En Angleterre, il y a pleins d'ensembles qui font ça. Souvent, les gens confondent mon travail avec celui des chef·fe·s d'orchestres français qui font du classique et du symphonique, mais je n'ai jamais dirigé un morceau classique de ma vie !

« En France, notre orchestre est vu comme un ovni. »

Comment expliques-tu ce contraste entre le paysage musical français, cloisonné entre musique classique et musiques actuelles, et le système anglo-saxon ?

Je pense que cela s'explique d'abord par le système éducatif français, qui crée une scission très claire entre ceux qui jouent des instruments d'orchestre et de musique classique et ceux qui jouent des instruments de musique actuelle. S'ils ne se connaissent pas et n'étudient pas ensemble, ils ne peuvent pas penser par la suite à collaborer. Les institutions prennent beaucoup plus au sérieux les musiciens qui font le conservatoire, il y a donc une rupture qui se crée. Je pense que le système éducatif français a beaucoup à gagner. Il faut arrêter de mettre les grandes œuvres du répertoire classique sur un piédestal. Aujourd'hui, la plupart du temps, les musiciens travaillent en studio pour enregistrer des artistes « pop » et c'est tout aussi gratifiant.

Uele Lamore dans Paris

Est-ce un problème générationnel selon toi ?

Oui. Je pense que les institutions voient la musique pop comme de l'amusement. La nouvelle génération est beaucoup plus ouverte d'esprit.

Ta mère était styliste et travaillait dans la Haute Couture. Quel rapport entretiens-tu avec la mode ?

J'adore la mode et les vêtements ! La plupart des amis de ma mère travaillaient dans de grandes maisons de couture. Ma marraine travaillait chez Balmain et je me rendais souvent dans ses bureaux. La manière dont tu te sapes en dit long sur toi. À Paris les gens aiment bien s'habiller, ils sont lookés et j'adore ça.

Qui sont tes créateur·rices de mode préféré·e·s ?

J'ai toujours adoré le travail de Raf Simons et j'aime la mode minimaliste. Je suis aussi hyper fan de Margiela, ses créations et même ses lookbooks, qui ont toujours une esthétique très pointue. J'aime aussi beaucoup Acne Studios.

Ton plus beau souvenir lié à la musique ?

C'est avec Étienne Daho ! Quand j'ai commencé à travailler avec lui, je ne me rendais pas compte à quel point c'était une icône, un monstre sacré de la musique française. J'ai grandi dans une famille qui écoutait beaucoup de musique américaine et je connais moins les classiques français. Je me suis donc plongé dans son répertoire et j'ai adoré. Quand on a commencé à collaborer ensemble, c'était dingue. Il était vraiment très gentil et très attentionné !

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