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Virgil Abloh, itinéraire d'un génie créatif
C'est un fait : certains designers font plus avancer la mode en quelques années que d'autres en plusieurs décennies. Virgil Abloh, fondateur de la maison Off-White, directeur
artistique des collections masculines de la maison Louis Vuitton depuis 2018, DJ à ses heures et dont l'œuvre a fait l'objet d'une première rétrospective il y a deux ans était de ceux-là. Tout au long de sa carrière, ce touche-à-tout
au talent polymorphe diplômé en architecture et ingénierie civile n'a eu de cesse de faire fusionner les univers de la musique, de l'art et de la mode, les codes de la rue et ceux du luxe. Acolyte de Kanye West au milieu des années
2000, il collabore avec le rappeur et l'aide à peaufiner l'esthétique unique et arty qui le caractérise. De « My Beautiful Dark Twisted Fantasy » à « Yeezus », il se charge des couvertures d'albums de l'interprète de « All of the Lights ».
Cependant, son travail le plus célèbre dans ce domaine reste sans doute la direction artistique de la pochette de « Watch the Throne », designée par Riccardo Tisci et dont les dorures hypnotiques lui vaudront une nomination aux Grammy
Awards.
Mais c'est avant tout l'amour de la mode qui unissait les deux natifs du Michigan. Un cliché de Tommy Ton datant de janvier 2009 les représente d'ailleurs en compagnie de quelques amis à la sortie des défilés parisiens.
Une photographie depuis devenue iconique, reprise dans le dessin animé « South Park », point de départ de la folie street-style et témoignage sociétal indélébile. En janvier 2019, dix ans plus tard, le designer était revenu sur cette
photo mythique pour le magazine « Complex ». « Ce qui rend la résurgence de cette photo intéressante
est qu'à l'époque, je ne pouvais même pas entrer au show Louis Vuitton, vous savez. Ne serait-ce que mettre les pieds dans un magasin pouvait parfois s'avérer compliqué... Je suis optimiste. Je crois que l'art et la bonté peuvent changer
le monde. Je refuse de croire l'inverse. Donc pour moi, cette photo est un témoignage que ce qui peut au premier abord sembler impossible est possible. À ce moment-là, je ne pensais pas que je serais un jour nommé à la direction artistique
de la maison Louis Vuitton mais je savais que c'était quelque chose de possible. »
Amoureux du détail, c'est toujours avec son ami Kanye West qu'il rejoint les ateliers de la maison Fendi en tant que stagiaire la même année. Son talent et sa minutie y seront remarqués mais il faudra attendre encore quelques années avant
que son nom ne devienne incontournable. En 2012 déjà, il fonde Pyrex Vision, une marque de streetwear à la destinée (volontairement) courte. Un an plus tard, c'est au tour d'Off-White de rebattre les cartes du style. Son ADN ? Situé entre
Supreme et Celine, comme il l'expliquera par la suite. À mi-chemin entre luxe et contemporary wear, la marque impose en un clin d'œil son esthétique sporty chic, ses ceintures à boucles à came, sa Double Flèche emblématique et ses chevrons
graphiques ainsi que ses silhouettes variées allant du jogging XXL à la robe ultra-sexy. En somme, un vestiaire versatile taillé pour toutes les occasions et tous les profils, fort en caractère et relativement accessible, initialement reconnaissable
au premier coup d'œil grâce à un usage de citations Helvetica placées entre guillemets que Marcel Duchamp et Barbara Kruger n'auraient pas reniées. Un talent pour l'originalité qui lui vaudra de compter parmi les finalistes du LVMH Prize de
2015 et de multiplier les collaborations. De Nike à Ikea en passant par Mercedes et même Braun, tous veulent s'associer à ce Midas des temps modernes dont la patte unique est la garantie d'un succès planétaire.
En 2018, la maison
Louis Vuitton lui confie les rennes de sa ligne masculine suite au départ de Kim Jones. « J'ai désormais une plateforme pour faire bouger l'industrie de la mode », déclare-t-il à ce moment-là au magazine « GQ ». « En tant que designers nous
pouvons lancer des tendances, intéresser tout un tas de gens à des sujets donnés ou nous pouvons faire en sorte qu'ils se concentrent sur nous. Je ne suis pas intéressé par cela. Ce qui m'intéresse, c'est d'utiliser ma plateforme en tant que
membre d'un petit groupe de créateurs masculins afro-américains pour créer des vêtements, pour dévoiler les gens sous un jour poétique. » La nomination est aussi historique qu'ingénieuse. Empreintes de sensibilité, ses collections sont aussi
bien acclamées par le public que la critique et sont régulièrement infusées de partenariats plus ou moins inattendus, de Supreme à Nigo, qui leur confèrent une épaisseur inédite.
Maître de la référence tous domaines confondus, Virgil Abloh avait rapidement déclaré qu'il se considérait plus comme un éditeur que comme un designer. Adepte de la règle du 3% (qui stipule qu'il suffit de changer 3% d'un design existant
pour le réinventer) il s'était souvent attiré les foudres de certains, l'accusant de « voler » des modèles à d'autres créateurs. Mais apposer la mention "Sculpture" sur un sac à main n'était pas simplement une manière de le rebrander pour
mieux le vendre. C'était avant tout un moyen de nous obliger à regarder la mode sous un autre angle et à réfléchir à notre approche du style et la manière dont il s'inscrit dans la société contemporaine. La marque des vrais génies.