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Fifty shades of green

Style | le lundi 10 février 2020

Directeur de création et stylisme, Yann Weber. Photographe, Jenny Brough. Producteur, Guillaume Folliero de Luna. Models, Awar Mou et Davey Oldenburg. Coiffeur, Olivier Schawalder. Maquilleuse, Cécile Paravina.

Mannequin porte robe Simone Rocha
DANS CE LOOK :

Robe Simone Rocha.

Fil conducteur de l'identité visuelle de Printemps.com en écho à son nom et à ses valeurs, le vert est aujourd'hui intimement associé au renouveau, à la jeunesse et à l'espoir. L'histoire de cette couleur est pourtant mouvementée, et ses significations se révèlent variées. Avec le regard éclairé des spécialistes Michel Pastoureau et Jean-Gabriel Causse, Printemps.com revient sur les connotations de cette couleur symbole d'équilibre, située en plein centre du spectre de la lumière.

Sacré « couleur de l'année » en 2013 puis en 2017 par Pantone, le vert se veut ubiquitaire. Surtout à l'heure où la préservation de la nature, dont il est la teinte dominante, constitue l'un des plus grands défis. « Autrefois délaissé, rejeté, mal-aimé, le vert est devenu une couleur messianique. C'est une couleur dans l'air du temps. On lui a confié une mission de taille : sauver la planète », raconte Michel Pastoureau, historien spécialiste de la couleur et auteur du livre Vert, Histoire d'une couleur (Seuil) qui retrace la longue histoire sociale, culturelle et symbolique de cette teinte dans les sociétés européennes depuis l'Antiquité grecque. Choisi dans une nuance fluo tout aussi joyeuse que vivifiante par Printemps.com pour habiller son site internet, son logo ou encore son packaging, le vert symbolise le printemps, une saison synonyme de renouveau, marquée par la renaissance d'une végétation à nouveau florissante.

Le vert est donc intimement associé à la notion de fraîcheur. « Les faits de langue révèlent beaucoup de choses ! », affirme Michel Pastoureau. « D'un vieillard on dit qu'il est "encore vert" pour dire qu'il a un peu de jeunesse en lui. C'est aussi la couleur de l'amour naissant. » Ainsi, dans son poème Moesta et Errabunda, Charles Baudelaire n'écrit-il pas que le « paradis des amours enfantines » est vert ?

Comme le souligne l'historien, la symbolique de cette couleur, renvoyant à une vitalité renouvelée, est contenue dans l'étymologie même du mot « vert », dérivé du latin viridis, « qui renvoie à la vie, à la vigueur, à la sève, à la croissance, à la jeunesse. Dès le Moyen Âge, on commence à associer les saisons à des couleurs. Pour le printemps ça a toujours été le vert. Par extension, il qualifie donc également l'allégresse que chacun éprouve à ce moment de l'année. Les bourgeons s'ouvrent, les feuilles se multiplient et grandissent, les fleurs font leur réapparition ; partout pousse une herbe jeune et neuve, d'un vert tendre. »

DANS CE LOOK :

Gauche : T-shirt et écharpe mise en fond Vivienne Westwood. Droite : Veste costume Moschino, Pantalon costume Moschino, Sweat Carne Bollente, Collier Versace, Chaussures Prada.

Aujourd'hui incontestée et entérinée par le nom de plusieurs partis politiques écologistes européens, l'association de la couleur verte à la nature n'a cependant pas toujours constitué une évidence. « Avant le début du XIXème siècle, l'idée de nature ce n'était pas le vert mais plutôt les quatre éléments que sont l'eau, l'air, la terre et le feu. Le vert était seulement la couleur de l'eau : sur les cartes de la fin du Moyen Âge, la mer est verte. Puis l'eau est devenue bleue sur les nouvelles cartes de géographie, car comme les lacs et les forêts étaient en vert, il a fallu les différencier des mers. Associer l'idée de nature à la couleur verte est aujourd'hui presque un réflexe immédiat. Et comme le courant d'opinion général n'accorde que des bienfaits à la végétation, on accorde énormément de vertus au vert. » C'est ce dont témoigne par exemple l'expression « se mettre au vert », qui indique autant une reconnexion avec l'environnement qu'une quête de repos et d'apaisement.

Dans la mode, une industrie de plus en plus concernée par les enjeux écologiques, le vert et les imprimés végétaux semblent s'immiscer de plus en plus dans les collections, comme pour mieux refléter les défis de l'époque actuelle tout en usant des connotations positives associées à cette couleur. Pour le printemps-été 2020, Valentino et Versace animaient leurs créations de plantes luxuriantes déclinées dans des tonalités vivifiantes telles que le vert fluo, qui s'invitait ailleurs sur des silhouettes monochromes, notamment chez Balenciaga, Marques Almeida ou encore Victoria Beckham. Fort d'une large gamme de nuances - de l'émeraude au sapin -, le vert s'est par ailleurs infiltré sous de multiples déclinaisons sur les podiums de Marni, Sies Marjan ou Gucci ces dernières saisons. Le créateur britannique Christopher Kane, quant à lui, présentait une série de pièces recouvertes de motifs façon prairie fleurie lors d'un récent défilé. Et les marques sont toujours plus nombreuses à planter le décor de leurs shows en pleine nature, à reproduire un champ de blé ou encore une forêt dont les arbres seront par la suite replantés. La nature et le vert se retrouvent ainsi plus que jamais célébrés.

DANS CE LOOK :

Lui : T-shirt Carcel, Pantalon Tibi, Ceinture Y/Project, Collier Emanuele Bicocchi. Elle : Robe débardeur Tibi.

Spécialiste des couleurs et auteur du roman Les crayons de couleur (J'ai Lu), Jean-Gabriel Causse ne tarit pas sur les effets positifs que peut avoir le vert. « Nous sommes de plus en plus nombreux sur Terre à habiter en ville, où l'on manque de vert. Voilà pourquoi on construit des « espaces vert », pourquoi on met des plantes vertes chez soi. » Dans son essai L'étonnant pouvoir des couleurs publié en 2014 aux éditions du Palio, qui relaie plusieurs expériences scientifiques pour analyser l'influence des couleurs sur notre comportement et notre moral, Jean-Gabriel Causse livre bon nombre d'anecdotes sur les surprenantes facultés du vert, avant tout couleur du juste milieu selon lui. « C'est une couleur qui est équilibrante et équilibrée », affirme-t-il. Car entre le bleu, froid et relaxant, et le rouge, chaud et activant, le vert tempère ; il offre une pondération. « Il a la particularité d'être exactement au centre du spectre des couleurs, entre l'infrarouge et l'ultraviolet. Vers 550 nanomètres pour être précis », explique Jean-Gabriel Causse. Couleur de la concentration, idéale pour la lecture (preuves en sont les lampes vertes de bibliothèques telles que Sainte-Geneviève à Paris ou celle de Harvard), le vert, couleur de la pharmacopée et de la santé, aurait également le pouvoir de soulager les migraines - comme l'ont démontré des scientifiques après avoir soumis des patient·e·s à des lumières de couleurs différentes. Et Jean-Gabriel Causse d'ajouter : « En IRM fonctionnelle cérébrale, lorsqu'on analyse les zones du cerveau qui sont sollicitées à la vue d'un aplat de couleur verte, on s'aperçoit que cela active, de façon très schématique, autant l'hémisphère droit que l'hémisphère gauche. C'est pour cela que c'est une couleur particulièrement adaptée pour la lecture, un moment où l'on a besoin d'être concentré mais aussi de faire appel à son imaginaire. »

DANS CE LOOK :

Lui : Veste Acne Studios, Pantalon et bermuda Acne Studios, Sweat Acne Studios, Bottines Prada. Elle : Robe Tibi, Boucles d'oreilles Emanuele Bicocchi.

Couleur du dollar et du trèfle à quatre feuilles, associé à la chance, le vert a également la capacité d'inspirer confiance. « À Las Vegas, des casinos ont fait des tests pour savoir quelle était la meilleure couleur à donner à un tapis pour jouer à la roulette. Ils ont démontré que lorsque les tapis sont bleus, les gens jouent plus mollement tandis que quand ils sont rouges, ils misent beaucoup mais s'arrêtent rapidement. Sur un tapis vert en revanche, les personnes jouent modérément et en continu, même lorsqu'elles perdent! », relate le designer. Mais comme toute couleur, le vert est ambivalent. Handicapant pendant longtemps peintres et teinturier·ère·s, son instabilité chimique, qui le rendait difficile à fabriquer et plus encore à fixer dans la durée, a peu à peu infusé sa symbolique pour en faire la métaphore et l'incarnation de tout ce qui est instable, versatile, éphémère ou à double tranchant comme le hasard, la fortune, l'espoir - la lumière perçue de l'autre côté de la baie dans Gatsby le Magnifique n'est-elle pas verte, de même que la couleur citée par Dante à la fin du Purgatoire de la Divine Comédie ? - ou la chance.

DANS CE LOOK :

Gauche : Top Tongoro, Pantalon Tongoro, Boucles d'oreilles Versace. Droite : Jupe Carcel, Top Carcel, Sac Acne Studios, Chaussures Prada.

De nos jours cependant, le vert a su prendre sa revanche. Et contrairement au rouge, dont il est la complémentaire et auquel il s'oppose souvent, il est une couleur positive, qui valide, autorise et enjoint à aller de l'avant. « Le vert est devenu la couleur de la liberté vers la fin du 18ème siècle. Dans les théories scientifiques, il commence à être pensé comme contraire du rouge, et comme le rouge représente le danger, l'interdiction, il devient à l'inverse la couleur de la liberté, du laissez-passer », constate Michel Pastoureau. « Le meilleur exemple c'est le feu tricolore », confirme Jean-Gabriel Causse. Ainsi, comme pour faire oublier son association à la malchance qui reste prégnante dans le monde du théâtre, ou toutes ses utilisations insincères liées au phénomène de « greenwashing », le vert porte désormais les couleurs du progrès et de l'avenir. D'autant que selon Michel Pastoureau, « on a vraiment intégré l'idée que la planète était en danger, qu'il fallait plus de nature, de végétal, donc de vert. » Une raison supplémentaire de miser sur cette couleur, tandis que la roulette de l'avenir continue de tourner.

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