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Claire Laffut : « Si je pouvais, je me créerais un personnage fictif comme les Daft Punk »
Printemps.com : Chanteuse, peintre, actrice... Tu es une artiste pluridisciplinaire. As-tu grandi au sein d'une famille qui accordait une place importante à la culture?
Claire Laffut : Ma mère n'a pas pu avoir accès à toutes ces possibilités étant enfant. Elle a commencé à travailler à dix-huit ans pour s'en sortir, dans le salon de coiffure de sa grande sœur, et elle ne l'a jamais quitté. Quelque part, je pense qu'elle a sans doute voulu m'ouvrir à cet univers. Mon père quant à lui n'est pas un artiste et n'a aucun diplôme. Pour tout dire, il n'écrit pas très bien... Mais c'est à mes yeux la personne la plus créative de ma famille. Il travaille avec ses mains, construit des maisons et a tout appris lui-même. C'est également lui qui m'a éveillée à la musique, simplement par passion.
Te souviens-tu de ce que tu as ressenti quand tu t'es installée à Paris ?
Beaucoup d'excitation ! J'avais l'impression d'arriver sur un terrain de jeu, où je me suis faite les dents, où je suis tombée amoureuse et où je me suis aussi prise des murs. J'ai exploré la ville avec les yeux d'une petite fille de la campagne. Je trouvais Paris d'une beauté suprême.
Tu es pourtant partie t'installer à Bruxelles dernièrement. Cette errance permanente, n'est-ce pas un frein à la création ?
J'ai longtemps rêvé d'avoir un espace où je pourrais vivre et créer, ce que je n'ai pas trouvé à Paris. À dix-neuf ans, je voulais m'explorer. Cinq ans plus tard, j'avais malgré tout l'impression d'avoir fait le tour de l'effervescence de la ville. Et puis j'aime la solitude du voyageur : elle m'aère l'esprit et soutient ma réflexion.
Il semble qu'il y ait eu un avant et un après « Vérité » dans ta carrière...
Oui, c'est certain ! Je n'avais pas planifié de dédier ma vie à la musique. Et « Vérité » a été un beau « succès d'estime » comme on dit dans le métier. Depuis, ma musique me sert à mettre en lumière ma peinture : c'est de ce métier que je veux mourir quand je serai une vieille dame dans son atelier.
Cela signifie que tes différentes pratiques artistiques se confondent au moment de créer?
Oui, et c'est très instinctif ! L'idée, c'est de pousser le processus de la création musicale un peu plus loin en le traduisant en un tableau ou un objet.
Avant la musique, tu as également fait une incursion dans la mode en tant que mannequin. Vois-tu des parallèles entre ces deux milieux ?
Je dirais qu'ils se marient très bien. Aujourd'hui, c'est difficile pour un ou une artiste de ne pas travailler avec des marques de mode, ne serait-ce que pour survivre économiquement. Et puis, ça permet de montrer à quoi notre univers se rattache, de développer notre identité.
De ton côté, cela te permet aussi de prendre le temps d'enregistrer ta musique comme tu l'entends. Ce qui est un véritable luxe dans une époque où tout va très vite...
J'ai commencé à chanter il y a à peine trois ans. Je me sens encore comme une débutante dans ce métier. Tout est arrivé d'un coup : les concerts, la tournée, la promotion, l'écriture de chansons, la technique vocale. J'ai rapidement dû saisir les enjeux et les attentes d'une grosse major comme Universal. Étant donné que je ne veux pas me brûler les ailes et que je me méfie de ma propre naïveté, je préfère construire les choses étape par étape. Une fois le succès arrivé, il faut tenir la barre très haut mais j'aimerais que ce soit pour les bonnes raisons, les bonnes chansons et le bon timing. Sinon, je vais avoir envie de disparaître. Je suis en quête d'intemporalité, de nouveauté, d'audace, de fraîcheur, mais également d'un univers à inventer.
« Je n'avais pas planifié de dédier ma vie à la musique »
Photo : Denys Schelfhaut © Universal Music Group..
Préfères-tu qu'il prenne forme grâce à la sonorité des mots ou via leur sens ?
À la première écoute, par le son des mots ! Mais je dois avouer que je suis de plus en plus exigeante avec le sens et la poésie des textes. Il faut un équilibre exquis pour qu'une chanson soit délicieuse. Serge Gainsbourg était pour moi le plus doué dans cette recette. J'adore jouer avec les contrastes, comme dans cette phrase de la chanson « Étrange Mélange » : « Salives des anges, suçons du diable ».
La pochette d'« Étrange Mélange », qui dépeint un coucher de soleil sur l'océan, incarne d'ailleurs ton esthétique visuelle. Rêves-tu parfois de vivre ailleurs que dans de grandes villes ?
Oh que oui ! J'ai encore tellement à voir de ce monde... Mais la vérité, c'est que j'ai de plus en plus envie d'intégrer mes dessins à mon image. J'ai envie de faire diminuer la pression qu'il peut y avoir sur mon physique. C'est parfois lourd à porter... Si je le pouvais, je ferais comme les Daft Punk ou Gorillaz, je n'existerais même plus en vrai et je me créerais un personnage fictif. C'est beaucoup plus mystérieux et intriguant.
Cette pochette a également un côté très kitsch, très années 1980. C'est une période qui t'influence particulièrement ?
Toutes les époques m'influencent. Elles ont toutes quelque chose qui me touche ! Cette peinture représente pour moi l'esprit d'un Douanier Rousseau qui serait sous acide [rires].
Tu t'associes régulièrement avec le musicien Tristan Salvati, qui a également travaillé pour Angèle. Comment votre collaboration se passe-t-elle ?
Nous avons créé mes premiers morceaux ensemble, c'était magique. Très honnêtement, je pense que je m'en souviendrai toute ma vie. Je lui dois ça. Et même si des tensions se sont installées dernièrement (là où il y a de l'intensité, il y a de la tension), j'espère qu'on pourra retravailler ensemble. C'est tellement rare de trouver une telle alchimie artistique.
Les tensions sont-elles inévitables dans la création selon toi ? On sait, par exemple, que « La Fessée » est une pique adressée à ton premier directeur artistique...
Oui, c'était une manière de m'adresser poliment et subtilement à lui. J'étais fâchée car il m'avait menti sur un point. On s'adorait une fois encore, mais des erreurs, des non-dits ont transformé cette complicité en colère.
Le milieu de la musique reste compliqué pour une artiste féminine ?
Le milieu de la musique est compliqué tout court. Tout d'abord, il faut faire attention à ne pas se faire avoir dans son contrat, être bien entouré, se faire entendre, gérer sa communication, construire une équipe, et j'en passe... Pour les femmes, en plus de tout cela, il faut aussi apprendre à gérer des interlocuteurs masculins parfois misogynes, qui ne vous prennent pas au sérieux ou qui n'hésitent pas à nous monter les unes contre les autres avec de simples petites phrases.
Parmi tes influences tu cites Jorja Smith, Agnès Varda, voire même la journaliste musicale Vivien Goldman. Tu aimes t'inspirer de femmes libres, créatives et indépendantes ?
Je rajouterais Lizzy Mercier Descloux [chanteuse française ayant évolué au sein de la scène no-wave new-yorkaise, avant de devenir l'une des précurseuses de la World Music, ndlr], dont j'ai lu la biographie et qui m'a énormément touché. Mais oui, toutes ces femmes ont une poésie et une délicatesse bien à elles : cela m'inspire.
Tu as intégré un groupe WhatsApp ne regroupant que des femmes musiciennes. Pourquoi était-ce important pour toi de le rejoindre ?
Parce que j'ai envie qu'on avance en étant soudées. Il y a encore beaucoup de progrès à faire, il ne faut pas retomber dans une peur des autres femmes. La musique est un métier qui isole terriblement, et qui engendre une vie sentimentale instable et compliquée. L'énergie interne n'y est franchement pas ultra rayonnante, le doute est permanent. C'est pour ça que je m'évade dans la peinture et que j'essaye de construire des amitiés fortes, comme avec la chanteuse Yseult ou avec la photographe et vidéaste Charlotte Abramow par exemple.
Quels sont tes prochains projets ?
Mon premier bébé : mon album. Et l'organisation de ma première exposition, qui le présentera. C'est le projet de mes rêves !