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Carcel : la marque éthique qui emploie des prisonnières

Socio | le mardi 30 juin 2020
Prisonnières travaillant pour Carcel sourient
Ce jeune label danois lancé en 2016 fait fabriquer les vêtements qu'il propose par des femmes emprisonnées en Thaïlande et au Pérou : un système de production qui favorise leur réinsertion tout en leur permettant d'assurer un soutien financier à leur famille. Engagé socialement, Carcel mène également des initiatives eco-friendly et incarne une voie alternative à la surproduction. Printemps.com s'est entretenu avec sa cofondatrice et directrice, Veronica D'Souza.

Printemps.com : Avant de lancer Carcel au côté de votre associée Louise Van Hauen, vous avez travaillé dans un autre projet entrepreneurial lié aux coupes menstruelles. Comment êtes-vous passée de ce domaine à celui de la mode ?

Veronica D'Souza : Je pense que tout a réellement commencé lorsque j'avais 20 ans. Je rêvais déjà d'un monde à la fois meilleur et désirable, et l'idée de trouver des solutions pour le futur me passionnait. En 2010, je suis partie à l'université de Columbia à New York pour me former aux stratégies commerciales éco-responsables. Un an plus tard, je lançais ma première entreprise, Ruby Cup, destinée à rendre les produits d'hygiène intime accessibles aux femmes les plus pauvres. J'ai toujours eu envie d'entreprendre, la mode est simplement venue s'ajouter à l'équation lors d'un séjour au Kenya pour développer Ruby Cup.

Lorsque je suis arrivée à Nairobi, je passais la majorité de mon temps dans les bidonvilles. J'y allais pour rencontrer les communautés de femmes qui y vivaient et identifier comment lancer une coupe menstruelle dont l'utilisation pourrait se démocratiser. Il me fallait trouver le bon positionnement marketing pour établir une bonne communication. À travers ce travail, j'ai découvert les situations terribles que rencontraient les jeunes filles installées là-bas, et j'ai pris conscience de l'impact que nous pouvions avoir sur leur vie. Au détour d'une rencontre, je me suis penchée sur le cas des femmes en prison. J'ai alors découvert que la première raison d'incarcération était la pauvreté, qui les avait entraînées dans des crimes non-violents : trafic de drogue, vol, prostitution... J'ai aussi pu voir qu'elles avaient beaucoup de temps à tuer mais presque rien pour s'occuper, ce qui m'a également interpellé. Nombre d'entre elles faisaient du crochet ou de la couture, mais juste pour leur plaisir personnel. Elles n'avaient pas accès à du bon matériel, ni à une bonne formation et ne pouvaient pas vendre ce qu'elles fabriquaient. Du coup, elles n'avaient aucun moyen d'envoyer de l'argent à leurs enfants. Mais j'ai pu percevoir leur potentiel et leur talent d'artisanat. J'ai rapidement été persuadée que ce contexte pouvait permettre de vendre quelque chose de désirable tout en liant la production à un impact social bénéfique.

Vous travaillez aujourd'hui avec une prison péruvienne, située à Cuzco : comment l'avez-vous choisie ?

J'ai conçu une carte du monde croisant les meilleurs tissus et le plus haut taux de criminalité lié à la pauvreté chez les femmes. Le Pérou arrivait en premier. On y trouve de la laine d'alpaga : une matière éco-responsable, qui possède une plus grande valeur que le cachemire. Il faut par ailleurs savoir qu'au Pérou, 70 % des femmes incarcérées le sont à cause du business de la cocaïne. Très souvent, les personnes avec de bas revenus n'ont pas eu accès à une bonne éducation. Les femmes ont l'opportunité d'obtenir un « travail » simplement parce qu'elles sont jeunes ou enceintes, et qu'elles ont donc le potentiel pour devenir une mule. Mais les Péruviennes sont aussi les tricoteuses les plus douées au monde. Cela fait partie de leur culture. Si vous vous baladez dans le pays, vous verrez des femmes tricoter à chaque coin de rue - elles font toutes ça depuis qu'elles sont nées. J'ai lancé une campagne de crowdfunding, et en 12 heures nous avions les investissements nécessaires pour lancer le projet au Pérou. Voilà comment Carcel est né.

Sur Google, j'ai ensuite trouvé le numéro de téléphone du président du système carcéral national. Je l'ai contacté et il m'a répondu : « Venez, et appelez-moi lorsque vous êtes sur place ». J'ai alors sauté dans un avion, et il m'a expliqué que les taux de récidive avaient tendance à baisser lorsque les femmes avaient une activité professionnelle durant leur période d'incarcération. Il nous a ensuite ouvert les portes de toutes les prisons du pays durant un mois, et celle de Cuzco a retenu mon attention. Elle est petite et située en pleine campagne, là-même où sont élevés les alpagas. L'autre avantage était que les femmes avaient déjà pu y apprendre à utiliser une machine à tricoter. En tant que marque scandinave, nous revendiquons un ADN très épuré. Nul besoin de techniques élaborées de couture, Carcel fait du simple, du beau, du durable.

Vous avez plus récemment commencé à travailler avec les détenues d'une prison en Thaïlande. Pourquoi avoir développé une unité de production dans ce pays ?

La Thaïlande a une grande histoire avec la soie, et au-delà de leur connaissance de techniques de fabrication liées à cette matière, les Thaïlandaises sont aussi très douées pour les broderies - ce qui constituait une opportunité de creuser un peu plus notre amour pour les détails. Par ailleurs, il s'agit du pays où l'on trouve le nombre le plus élevé de prisonnières. J'ai pris contact avec le système carcéral national, ainsi qu'avec la princesse du pays, qui s'avère être l'ambassadrice des femmes emprisonnées. Il y a un an, nous lancions ainsi notre collaboration avec les prisonnières de Chiang Mai sur une collection en soie.

Nous envisageons par ailleurs d'inaugurer un nouvel atelier en dehors des prisons car c'est très compliqué d'obtenir du travail une fois dehors. Pour certaines anciennes détenues, vingt ans se sont écoulés, et elles ne connaissent ni ne comprennent la société actuelle.

« Indiquer le nom de nos couturières est un moyen de leur redonner une identité, alors que la société les a totalement mises à l'écart. »

Lorsqu'une couturière confectionne une pièce, on retrouve ensuite son nom sur l'étiquette accrochée à l'intérieur du vêtement. Pourquoi avoir mis cette pratique en place ?

Indiquer le nom de nos couturières est un moyen de leur redonner une identité, alors que la société les a totalement mises à l'écart. Elles sont par ailleurs très fières de ce qu'elles accomplissent, et peuvent jouir d'une vraie reconnaissance grâce à cette initiative : elles ne sont ainsi plus seulement vues comme des prisonnières mais comme des personnes compétentes. Nous créons donc un espace pour offrir un peu d'humanité, mais nous restons une entreprise et elles sont nos employées. Nous ne nous définissons en aucun cas comme des sauveurs, tout comme elles ne s'identifient pas comme des victimes. Nous pensons que c'est ça l'indépendance.
Par ailleurs, en indiquant le nom de la couturière sur l'étiquette, nous espérons pouvoir recréer des liens émotionnels entre le vêtement et son consommateur, alors qu'ils n'ont pas cessé de se distendre depuis le début de l'ère contemporaine : nous achetons, puis nous jetons...

Comment payez-vous les détenues qui travaillent pour vous ? Ont-elles accès à des comptes bancaires ?

À Chiang Mai, tout est très bien organisé. Elles sont plus de 2000 et ont un système bancaire interne. Au Pérou en revanche, c'est beaucoup plus compliqué. Elles n'ont pas de compte et doivent tout payer en cash, même leur savon. Nous sommes en train de réfléchir à une structure plus sécurisée et sécurisante mais cela prend du temps. Nous voulons à tout prix éviter les soucis entre les prisonnières pour des histoires de jalousie. Pour le moment tout se passe bien mais le système doit s'améliorer.

Quelle rémunération proposez-vous aux prisonnières avec lesquelles vous travaillez ?

Nous croyons qu'une personne employée au sein d'une prison mérite les mêmes droits qu'une personne engagée à l'extérieur : cela concerne la paie comme les conditions générales de travail. Pour indexer le salaire, nous nous intéressons d'abord aux standards de l'industrie pour un travail similaire dans le secteur textile, avant de regarder les différentes méthodologies de calculs de salaires décents grâce à plusieurs organisations comme Minimum Wages, Asia Floor Wage, la Fair Indicator Foundation ou encore la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l'habillement et du cuir. Nous ajustons ensuite ce salaire standard [qui correspond à des montants toujours supérieurs au salaire minimum national, ndlr] aux plannings de chacune, puisque nos équipes ne travaillent pas à temps plein mais approximativement 30 heures par semaine. Au Pérou, nous adressons des bonus que nous ajoutons chaque mois en plus du salaire fixe. Il dépend de la production des tricoteuses travaillant avec des machines plus modernes. Cela permet de récompenser la progression des compétences. En Thaïlande, en revanche, elles obtiennent toujours le même salaire.

En parallèle de votre engagement social envers les détenues, vous avez également mené des initiatives écologiques avec votre marque. Quelles ont été les premières problématiques environnementales auxquelles vous avez dû faire face, et comment avez-vous entrepris de les résoudre ?

L'industrie de la mode est l'une des plus polluantes de notre planète et je pense que les principaux éléments en cause sont la production à outrance et la surconsommation. Pour s'attaquer à ces problèmes, l'industrie de la mode doit réduire le gâchis : j'ai donc analysé toute ma chaîne de production pour pouvoir la nettoyer autant que possible. Carcel ne fait pas de collections saisonnières : je refuse d'aborder la mode comme du lait, avec une date de péremption. Et nous ne faisons pas de soldes. S'il est de bonne qualité, un produit n'a aucune raison de perdre en valeur. Avoir nos propres ateliers nous permet par ailleurs de ne concevoir que ce que l'on vend. Nos productions sont petites et nous les écoulons jusqu'à ce que la dernière pièce soit épuisée, donc rien ne se perd. Nous avons également mis en place des pré-commandes pour certaines pièces afin d'anticiper les demandes de nos clients.

Veronica D'Souza

Quel est le plus grand challenge auquel vous devez faire face avec Carcel ?

La chose la plus difficile est de ne pas pouvoir faire plus. J'aimerais pouvoir assurer un avenir plus serein aux détenues que nous employons, et les faire sortir de prison. Nous réfléchissons aussi à la manière dont nous pouvons accélérer le rythme, pour pouvoir engager plus de femmes. Aujourd'hui, elles sont environ 27 au total et il n'y a pas beaucoup d'opportunités, mais nous espérons pouvoir doubler notre effectif l'année prochaine.

L'une de vos couturières a-t-elle déjà été libérée ? Si oui, avez-vous gardé le contact avec elle ?

Notre première employée est aujourd'hui sortie de prison et travaille avec nous. Elle s'appelle Teofila et assure le contrôle de la qualité des vêtements tout en aidant notre manager de la production péruvienne. Elle veut par ailleurs créer sa propre entreprise d'évènementiel et se forme actuellement à l'entrepreneuriat.

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