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De New York à Paris, le voguing et le waacking mènent la danse

Arts | le vendredi 19 février 2021
mannequin avec robe paillettes
Visuel issu de la série Pose, diffusée sur Netflix.
Autrefois confinés aux marges de la société, le waacking et le voguing se sont affirmés jusqu'à s'ancrer dans la culture mainstream à travers des émissions de télé, des clips ou encore des séries, à l'instar de Pose. Retour sur deux danses constamment en mouvement.

Issu de la ballroom scene, le voguing se développe d'abord dans les balls de New York et imite les poses qu'on retrouve dans les magazines de mode, tandis que le waacking émerge dans les clubs gays de Los Angeles et s'inspire des stars de l'âge d'or d'Hollywood. Ces deux danses sont popularisées dans les milieux LGBTQ+ noirs et latinos de l'Amérique urbaine des années 60 et 70. Toutes deux offrent un espace d'expression et de liberté à des communautés minorisées, subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans la société. Entre libération du corps et affirmation de soi, le waacking et la scène ballroom se développent dans l'underground et permettent à ses initié·e·s de s'émanciper des classes privilégiées dans un espace où l'on peut danser, se réinventer et enfin être qui l'on veut. En dansant et en incarnant des personnages sur le dancefloor ou sur les podiums, vogueur·euse·s et waacker·euse·s prennent le pouvoir.

Des outils d'empowerment

Selon Tiphaine Bressin et Jérémy Patinier dans leur ouvrage Strike a pose. Histoire(s) du voguing, le premier ball de voguing aurait eu lieu en 1962, à New York. On y parodie les concours de beauté de l'élite, ses postures et ses gestuelles, tout en s'inspirant de la mode pour créer des costumes toujours plus exubérants et scintillants. S'axant sur un processus de mimésis, les compétiteur·rice·s s'inspirent notamment des poses des mannequins des années 60 du magazine Vogue pour inventer des mouvements très codifiés. La compétition comporte également différentes catégories en parallèle, principalement axées sur l'imitation de stéréotypes associés à l'idée de réussite sociale, tel que l'homme d'affaires. En endossant ces costumes le temps d'une nuit, les vogueur·euse·s se réapproprient les symboles de la distinction - le pouvoir, la mode, l'argent, le luxe - afin de toucher leurs rêves du doigt. Peu à peu, une véritable communauté émerge autour de ces concours, où se retrouvent les membres de différentes houses : des sortes de « clubs » marqués par un système d'entraide et de solidarité très forts, faisant office de seconde famille.

À la même époque ou presque, au tournant des années 1970, une autre danse se popularise sur la côte ouest, dans les bars et clubs gays de la communauté noire et latina de Los Angeles : le « punking ». Il deviendra ensuite le « waacking » : un mot qui constitue au départ une insulte envers la communauté de danseur·euse·s qu'elle désigne, avant d'être réapproprié via une stratégie de « retournement du stigmate ». « La réutilisation de ce terme provient d'une volonté d'en faire une identité sublimée », explique la danseuse et militante Habibitch.
Le punking est une gestuelle chorégraphiée s'inspirant de l'imaginaire hollywoodien des années 20 et de ses célébrités, dont le waacking dérive, qui consistait à lever les bras au-dessus de la tête avec dynamisme, en imitant des attitudes très « diva ». « S'inspirant également des danses latines, afros et du jazz, le waacking, loin d'être mainstream, se danse sur de la musique disco, alors en pleine effervescence dans la communauté noire et gay où elle trouve son origine, poursuit Habibitch. Le club où l'on danse le waacking devient alors un lieu d'échange, de résistance et de résilience par excellence, même si cela ne fait pas forcément l'objet d'une conscientisation littérale à l'époque. »

Une popularité croissante

Pour la chorégraphe, performeuse et chercheuse en danse Geisha Fontaine, « le voguing, comme le waacking, avaient pour fondement de s'emparer de valeurs comme le glamour, l'élégance et une affirmation de la féminité. C'était une volonté d'affirmer une égalité avec les classes privilégiées et de s'autoriser à accéder à ce dont les minorités étaient d'emblée exclues. » Au fil des décennies, de club en club, de scène en scène, ces deux danses se démocratisent. En 1990, le clip « Vogue » de Madonna consacre définitivement le voguing, tandis que le documentaire Paris is burning de l'américaine Jennie Livingston, sorti en 1991, dévoile les coulisses de la culture ballroom. On y découvre l'envers du décor et les vies difficiles que rencontrent les membres de cette scène quand ils·elles quittent les podiums et les paillettes. Les représentations de la ballroom scene, ensuite photographiée par Chantal Regnault ou Xavier Héraud, s'exportent à travers le monde.

Après s'être quelque peu éteinte, elle revient finalement sur le devant de la scène dans les années 2000 et trouve notamment un fort écho en France. « Environ une quinzaine de balls sont organisés chaque année en France [lorsque les clubs sont ouverts, NDLR], rassemblant des milliers de spectateurs, explique Matyouz, "Godfather" de la House of Ladurée - la première house française. » Pour le journaliste et activiste Didier Lestrade, qui était le premier à raconter ce qu'était le voguing en France, « la nouvelle génération s'est emparée de la culture ballroom et notamment du voguing à travers un processus de réécriture, tout comme la génération queer s'est appropriée les événements de Stonewall. »

En parallèle, le waacking se diffuse également dans le monde, notamment à travers l'émission américaine « Soul Train ». Inspirant toute une génération, il pousse des danseur·se·s des quatre coins du monde à se déplacer jusqu'aux États-Unis pour y suivre des workshops et apprendre cette « social dance » funky, explique Habibitch. En France, la scène waacking se développe notamment autour de pionnier·ère·s comme Bruno Marignan, Sandrine Sainte Croix ou Lil Kiss. Tout comme le voguing, cette discipline que l'on pratiquait surtout dans les bars et dans les clubs gagne peu à peu en popularité, jusqu'à s'institutionnaliser en partie et pénétrer les scènes de danse du monde entier.

La scène ballroom et le waacking se sont donc développés au gré de l'évolution de la société. Si elles constituent toujours des danses émancipatrices, leur portée politique a changé depuis. « En France, la scène waacking est une danse d'échange et de partage, avec beaucoup de groove. Elle est très libre bien que sa technique soit vraiment reconnaissable. Ce n'est pas une scène militante ou politisée, au mieux c'est une scène féministe », constate Habibitch. Grâce à internet et Youtube notamment, l'influence de cette danse tout comme celle du voguing ne cesse cependant de s'étendre et d'inspirer de nouveaux.elles adeptes.

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